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Jean Dusaussoy

Les Régalades de Montpeyroux (Hérault)


La scène se passe dans l’ancienne sacristie de l’église Saint Martin du Barry à Montpeyroux. Le chef, Lionel Giraud (de dos sur la photo), qui signe le menu de cette septième édition des Régalades de Montpeyroux, attend avec sa brigade que la salle lui confirme l'enlèvement des assiettes de jambe de poulpe cuite sur la braise des 140 convives pour lancer le dressage du plat suivant, les ris de veau « pommés ». Il règne dans la cuisine éphémère, transposée depuis sa Table Saint-Crescent (étoilée à Narbonne), une atmosphère faite de vacuité et de tension où l'on sent que quelque chose va advenir...

L’Annonce faite à Montpeyroux

Mais comment en est-on en arrivé à ce suspens ? Revenons un peu en arrière. Le déjeuner avait commencé par des amuse-bouches servies en apéritif sur 5 des 21 cuvées dégustées durant ces Régalades qui « offrent chaque année un panorama des 21 caves indépendantes plus celle de la coopérative artisanale Castelbarry constituant l’appellation » comme le rappelle son président François Boudou, partisan d’ouvrir les Régalades à des cuvées qui ne sont pas dans l’AOC Languedoc - Montpeyroux (uniquement en rouge), à commencer par les blancs des vignerons de l’appellation, mais également à des cuvées rouges, comme ce Myrmidon (IGP Pays d'Hérault), pure syrah gouleyante en macération carbonique du Petit Domaine, (un des derniers à s’être installé sur la commune), sur un cromesquis de cochon. Un accord gourmand, concocté, comme tous ceux qui suivront sans repas test en amont, par Albert Malongo Ngimbi, sommelier à la Table Saint-Crescent, qui travaille sans filet, mais avec une bonne connaissance de la cuisine de son chef et après une sérieuse dégustation des vins de l'appellation.

Sur l’entrée, des Saint Jacques des Côtes d’Amor cuites au sel d’épices, deux des quatre blancs servis avec avaient trouvé l’accord, l’un en les aiguillonnant par sa vivacité, El Abanico (2014) de La Jasse Castel, l’autre en les enrobant de son gras, Trélans (2012) du Domaine Alain Chabanon car, comme je le répète souvent, il en va des accords comme des relations amoureuses, l’un peut dominer l’autre ou bien le mettre en valeur, ce qui est déjà pas mal (comme ce fut le cas ici), mais il est des moments magiques où les deux se retrouvent, ni dessus, ni dessous, mais juste en face, se révélant l’un l’autre ou, pour reprendre une métaphore tauromachique, lorsque le taureau et le torero s’accordent sur le même rythme, « s’accouplant ».

C’est sur le met suivant, jambe de poulpe cuite sur la braise, betterave crapaudine confite au jus de cochon, riz soufflé de son encre, qu’advint le premier. Un terre & mer qui peut sembler compliqué dans sa formulation mais qui ne l’est point dans l’association des saveurs visant à ramener le goût du céphalopode vers la terre. A commencer par sa chair braisée comme du bœuf, la betterave lardée, le jus de cochon corsé, puis, lorsqu’on sur le point d’oublier l'élément mer, y revenir par l’encre de seiche de la tuile de riz soufflé pour finir sur une petite touche marine qui apporte également du croustillant.

Sa rencontre avec La (bien nommée) Boda* (2007), cuvée mariage entre les deux terroirs du Domaine d’Aupilhac (les marnes bleues de la cuvée éponyme et le basalte des Cocalières), commence par la finesse du fumé, s’ensuit par l’ampleur de cet assemblage à part égale de syrah et mourvèdre qui remplit la bouche horizontalement, comme le ferait les Cocalières, avant de retrouver la verticalité de la cuvée phare du domaine. Un accord à la fois sombre et solaire comme la basse d'une orgue qui s'élève vers la nef. Le tout gardant la fraicheur et l’élégance du millésime.

Soudain le top de tant attendu est donné dans la sacristie et la « cuadrilla » qui semblait attendre le « pasillo » pour entrer dans l'arène se met en ordre pour le dressage. On commence par les crosnes du Japon en crémeux à l’Amaretto sur lesquel viennent les ris de veau « pommés », puis s'ensuivent le jus tranché, les crosnes entiers et enfin la chips croustillante et les herbes...

Et le miracle se reproduit sur « cette petite chose précieuse et agréable » comme Alain Chabanon définit son Esprit de Font Caude (2008), « preuve qu’un petit millésime peut être bon ». Le fondant et le crémeux du plat trouvent leur écho dans la finesse et le velouté des tanins de cet assemblage identique à celui de La Boda, mais avec 36 mois d’élevage dont 24 en barrique (contre 25 en Barrique pour La Boda). Un accord à la douceur automnale réconfortante où il fait bon se lover.

Deux moments de grâce sur l’ensemble d’un repas vous semblent peu ? Je trouve pourtant que c’est déjà beaucoup et sûrement le signe annonciateur de l’appellation communale à venir pour Montpeyroux et, qui sait, d’une seconde étoile amplement méritée pour Lionel Giraud et toute sa brigade en février prochain.

* Boda signifie mariage en Espagnol. Référence au mariage des deux terroirs du domaine dans cette cuvée ainsi qu'à celui du vigneron Sylvain Fadat avec Désirée Alonso Sanchez qui l'accompagne depuis dans la conduite du domaine en biodynamie.

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